L’année dernière je me souviens, au retour du Trabendo et de la Klepto, j’avais marché de nuit sur le Boulevard de la Villette le coeur battant. Love was in the air. Je m’étais imaginé que j’ouvrais la marche Existrans. Je tentais de surmonter ma peur et de la convertir en fierté. Et j’avais réussi, au rythme de Madato et de Nicol. Je me sentais pousser des ailes. J’aimais éprouver la sensation de la lutte. Je me sentais semblable à cette créature mutante inter-spéciste dans ce dessin que j’ai découvert dernièrement grâce à Diego Ribera qui vit crée et enseigne au Chili. Grâce à lui je découvre des trésors queer qu’il exhume du Moyen Age ou autres périodes de l’histoire de l’art européenne reculée.
Un an après, le 15 octobre dernier, j’ai rejoint la marche en après-midi cette fois. C’étaient les 20 ans de Existrans. Je voulais en être. Dans le métro, non loin de Barbès, une femme accompagnée de ces enfants me fixait en souriant, j’étais mal à l’aise, je pensais à mon bonnet Suprem Bitch, j’avais peur qu’elle soit gagnée par la panique morale, qu’elle me parle de mon déguisement ou qu’elle se mette à en parler à ses enfants. J’ai fini par sourire quand même et c’est alors qu’elle m’a dit qu’elle me trouvait beau. J’étais étonné de sa douceur. Je ne sais pas si c’était l’effet de la marche. Le bruit courait dans la presse et les réseaux sociaux depuis quelques jours que des avancées considérables venaient d’avoir lieu, qu’un pas immense avait été franchi pour la reconnaissance des droits des transsexuels et personnes intersexes. Mais ce qu’on n’a peut-être pas assez dit ou compris, c’est que c’est un progrès tout relatif, car la décision revient toujours in fine au bon vouloir d’un ou d’une juge. Etat de fait reconduisant une forme de paternalisme insupportable. Alors ce jour là nous étions nombreux à marcher pour demander un changement d’état civil complètement démédicalisé et déjudiciarisé, pour que l’on puisse juste aller en mairie pour changer la mention du genre sur son état civil et qu’on ne soit plus obligé de se dévoiler devant un juge, pour qu’il y ait d’autres options qu’homme ou femme à l’état civil. On marchait encore pour se rendre visible. Pour faire bouger les lignes. Pour rendre effective la lutte intersectionnelle. Pour faire avancer la dimension inclusive et que les luttes pour les droits des minorités se répondent et se solidarisent plutôt qu’elles ne s’écartent s’excluent ou se concurrencent.
J’ai marché en direction de République, j’ai aperçu de loin les banderoles et les pancartes. J’ai croisé Pepi della Fresca. On étaient contents de se retrouver et il était surpris de me voir en plein jour. Le soleil brillait tellement que je me sentais exposé et vulnérable. Il y avait aussi Jeremia Boulanger, Clara Pacotte et Esmée Planchon qui m’ont donné un prospectus pour des performances et un événement qu’elles organisaient et que j’ai perdu puis oublié, je m’en souviens seulement maintenant. Nous avons marché ensemble puis nous nous sommes perdus. Je me suis peu à peu habitué à cette lumière, d’autant qu’il faisait vraiment très beau et que le soleil illuminait les visages. C’était encore l’été indien et c’était heureux de se retrouver tous dans la rue.J’ai rencontré Francisco Andres, lui aussi chilien, avec lequel j’avais dansé au Klub à la dernière soirée Shemale Troubles. Il était accompagné de son ami. Nous avons discuté du Chili, des luttes et recherches queer ici et là-bas. Il m’a dit qu’il se sentait assez engagé dans sa vie, son corps, son identité pour ne pas en plus travailler et faire des recherches là-dessus. Jeter son corps dans la bataille. Cette expression me revient souvent. Nous avons terminé la marche à Châtelet où ont défilé les différent(e)s portes paroles des associations. D’aucuns pérorent ces temps-ci que la racialisation du discours, de la pensée, des analyses est une façon de diviser la société en ennemis internes alors que le véritable ennemi, c’est le marché et le capitalisme mondial. Pourtant, force est de constater qu’il existe bien des crimes et des stigmatisations racistes. D’ailleurs, à l’intérieur même des communautés LGBTQ l’homonationalisme s’accompagnant d’islamophobie est devenu monnaie courante.C’est pourquoi j’étais heureux de voir défiler aussi des associations en lien avec les sans papiers ou encore les Trans of Color Lives Matter.
Nous étions dans le soleil. J’ai trouvé un arbre où m’adosser. Je me souviens que j’étais bien. Je suis resté longtemps à écouter la liste des revendications d’abord du groupe de Trans of color Lives Matter. Roxanne Valin m’a envoyé cette très belle photo. A cause des drapeaux et du dispositif d’écoute on dirait un peu un tableau de Delacroix.
Pendant ce temps des groupes étaient allongés par terre.On se sentaient bien dans cette marche. Pour une fois que nous n’étions pas oppressés par des dizaines de policiers sur-armés ni menacés par les bombes lacrimogènes. D’ailleurs peut-être était-ce le signe que notre rassemblement ne menaçait en rien l’ordre des choses ? Moi j’avais l’impression d’avoir une place à l’air libre et ça me donnait envie de persévérer et de lutter davantage. Quelque chose de l’énergie des Nuits Debout circulait jusque Châtelet : La géographie des luttes, il faudrait en parler. Elle s’est dernièrement considérablement transformée avec l’usage policier de la nasse.
Le 5 novembre dernier, il y avait de nouveau un rendez-vous à Châtelet pour la marche en vue de la reconnaissance du crime d’Etat commis contre Adama Traoré retrouvé mort les mains menottées derrière le dos en présence de policiers qui ne l’ont pas détaché alors qu’il se plaignait de ne plus pouvoir respirer. J’ai pris encore la marche en route et c’était incroyable de découvrir l’intensité de la soeur d’Adama qui au lieu de se replier de manière égocentrique et pathétique sur elle-même et la douleur familiale, a rejoint le terrain de la lutte anti-raciste et contre la violence policière. Nous étions plusieurs centaines. Le poing levé. Le cortège ouvert par la soeur, les frères et les ami(e)s d’Adama. Avec pour leitmotiv : pas de justice pas de paix.
Le soir je suis sorti à la Java retrouver les biches, ça faisait longtemps que j’étais pas allé à la Trou. Voir mes bitchs chéri(e)s. Dans les backstages on a parlé de la manifestation avec Esmée car elle y était elle aussi. On partageait notre admiration pour Assa Traoré. Sa capacité à élever le débat, à politiser son drame familial. J’étais heureux de revoir Jérémia, Niz sweeti, Amine, Stéphane et son lover, Anne Claire avec ses talons aiguilles. Esmée portait une nuisette rose qu’elle a prêtée à Pepi. Nous avons joué. On s’est amusés à se photographier. Comme des enfants. Comme des idiots.